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La présence réelle est-elle absurde ?

Chers raideurs,


Chaque jour, à la messe, le prêtre consacre le pain et le vin, qui deviennent réellement et substantiellement le corps et le sang du Christ. Par ce miracle quotidien et pourtant si grand, Jésus maintient sa présence physique près de nous sur terre, plus de 2000 ans après son incarnation. L’Église croit très fermement en la vérité de ce miracle, sous le nom de « transsubstantiation ». Par ce mot un peu étrange, elle veut signaler la particularité unique et la grande beauté de l’ « admirable échange » de la consécration. Mais comment peut-on croire que ce petit rond de pain blanc et ces quelques gouttes de vin deviennent vraiment le corps et le sang de l’homme-Dieu, né il y a vingt siècles dans une étable orientale, et mort une trentaine d’année plus tard sur une croix honteuse ? Vraiment, diront nos contemporains, cette affirmation d’une prétendue transsubstantiation est bien l’excentricité la plus folle des catholiques. En effet, la présence réelle de Jésus sous les espèces du pain et du vin peut sembler au premier abord absurde… Et pourtant, il faut que nous tenions plus que jamais à cette réalité centrale et essentielle de notre foi. Afin de nous faire passer pour de doux rêveurs ou pour des obstinés un peu fous, les modernes disent respecter notre foi en l’Eucharistie, mais en font une croyance entièrement irrationnelle, c'est-à-dire qu’il faudrait y croire absolument sans réfléchir, sous peine d’en arriver à une contradiction immanquable.


Faut-il renoncer à notre raison pour adhérer à la foi catholique ?


Comme on vient de le dire, c’est ce que le monde actuel (surtout depuis les philosophes des « Lumières ») veut nous faire penser. À les écouter, le catholicisme est une mythologie un peu plus évoluée que les cosmogonies grecques ou orientales, porteuse de valeurs morales et sociales intéressantes, mais dont le fondement dogmatique, c'est-à-dire les vérités de foi, sont purement irrationnelles. Notre réponse de jeunes chrétiens, pour faire face à cette réduction, doit être bien ferme : nous tenons à notre foi catholique, non en vertu d’une croyance irrationnelle, mais par une adhésion ferme de notre intelligence aux vérités révélées par Dieu. Cette adhésion, que nous appelons la foi, tient en deux parties : - La foi est d’abord et essentiellement surnaturelle. Elle est un don de Dieu, qui nous fait participer à sa Vie, une vertu théologale. Dieu infuse en nous une lumière surnaturelle, qui fait que nous reconnaissons les vérités de la foi comme vraiment révélées par lui, et que nous y adhérons comme à l’enseignement de la plus haute autorité, le plus certain qui soit. - Mais Dieu n’agit pas en nous en méprisant notre nature humaine, qu’il a lui-même créée et dotée magnifiquement. Il nous a donné une raison, une capacité d’abstraire, d’analyser, de comprendre, que nous exerçons à chaque instant de notre vie consciente. Notre raison naturelle ne peut accéder directement ni adhérer seulement par elle-même aux vérités révélées par Dieu, elle a besoin de la lumière surnaturelle dont nous venons de parler. Cependant, l’adhésion de l’intelligence sous cette lumière surnaturelle ne réduit pas la raison naturelle au silence. Notre raison est éclairée par la foi, elle en accepte la lumière ; mais elle la soutient également, en s’appuyant sur des motifs de crédibilité, des arguments humains à l’appui des vérités divines, et en écartant et réfutant les arguments humains qui s’opposent aux vérités de foi. Cette conception équilibrée du rôle de la foi surnaturelle et de la raison naturelle dans la vie de notre intelligence et dans son rapport à Dieu est essentielle pour bien penser notre vie de catholique. Elle aujourd’hui totalement méconnue et très souvent déséquilibrée, même parfois dans l’Église. Paradoxalement, c’est au moyenâge, période que l’on présente souvent comme obscurantiste, attachée sans raison à de nombreuses croyances religieuses ou occultes, que cet équilibre a été le mieux construit : il est défendu au plus haut point par saint Thomas d’Aquin.


Quel est alors le rôle de la raison dans notre foi en la présence réelle ?


En nous appuyant sur ce que nous venons d’expliquer, nous pouvons maintenant considérer le rôle de notre raison face au dogme de la présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie. Doit-on faire taire tout raisonnement pour croire aveuglément en une vérité humainement absurde ? Assurément, non. Bien sûr, dans un premier temps, comme nous l’avons vu, notre intelligence adhère à ce dogme révélé, contenu explicitement dans l’Écriture (dans trois Évangiles et dans les Épitres de saint Paul), sous la lumière surnaturelle de la foi, infusée par Dieu. Cependant, nous ne pouvons pas nous arrêter là. Notre intelligence cherche naturellement à mieux comprendre, à mieux connaitre Dieu en employant les outils de la raison, que lui-même a mis en nous. Les philosophes et théologiens catholiques, avec les papes et les évêques, ont défini au cours des siècles un certain nombre de concepts qui nous permettent de mieux comprendre le dogme de la transsubstantiation, et d’y adhérer plus fermement grâce au soutien de notre raison naturelle.


Qu’est ce que la transsubstantiation ?


Pour que vous compreniez un peu mieux ce que l’Église entend par ce mot « transsubstantiation », il faut que je vous explique brièvement ce qu’est une substance. La substance, en bonne philosophie, est « ce qu’est » une chose, un objet, une personne. La substance est ce qui est essentiel et en quelque sorte le plus intérieur à la chose. Elle reste dans la chose en dépit de nombreux changements que l’on appelle « accidentels ». On dit que le corps humain se renouvelle entièrement, de la première à la dernière cellule, en moins d’un an. Ainsi, nous nous retrouvons à chacun de nos anniversaires avec un corps entièrement différent de celui que nous avions la fois précédente. Et pourtant nous ne soufflons pas indéfiniment notre première bougie, puisque nous reconnaissons qu’en dépit de ces changements certes importants, mais accidentels, notre substance reste la même : je suis Paul, et je reste Paul, bien que mes cellules se renouvellent. De même, notre substance reste la même tout au long de notre vie, bien que notre état et notre aspect physique varient grandement, de notre premier biberon à nos premiers cheveux blancs… Les accidents de notre substance varient : taille, poids, couleur de la peau, des cheveux, des yeux, relations avec les autres (je suis fils, je deviens prêtre – relation à Dieu, ou bien mari, père, grand-père…), actions, possessions… mais la substance reste la même : je suis Paul, et je reste Paul. Nous avons compris que la substance désigne ce qu’est profondément et essentiellement une chose. Nous pouvons désormais appliquer ce concept à la transsubstantiation. Lorsque le prêtre, à la suite du Christ et en vertu du pouvoir confié par lui, prononce les paroles de la consécration, toute la substance du pain est changée en la substance du corps de Jésus. Le changement est total et substantiel, c'est-à-dire qu’il concerne véritablement la substance. Ainsi, ce qu’est l’hostie avant la consécration, c’est du pain ; mais ce qu’est l’hostie après la consécration, ce n’est plus du pain, c’est le corps du Christ. Mais comment se fait-il alors que ce que nous voyons garde le même aspect du pain : petit, rond et blanc ? C’est que la substance est ce qui est le plus intérieur aux êtres, nous ne pouvons pas voir la substance d’une chose, mais seulement ses accidents : sa couleur, sa taille, son poids… Or dans le miracle de la transsubstantiation, le pain est entièrement et substantiellement changé dans le corps du Christ, mais les accidents de pain restent miraculeusement sans leur substance. Ce que nous voyons est un petit rond blanc, au goût, à l’odeur, au toucher du pain, mais c’est réellement et substantiellement le corps de Jésus ; ce n’est plus du pain. De même pour le vin, qui est réellement et substantiellement le sang de Jésus.


Alors peut-on démontrer la réalité de la présence réelle ?


Vous vous en doutez, la réponse est non. Ces outils de pensée (substance, accident, transsubstantiation) repris, mis en place et développés par l’Église au cours du temps nous aident à approcher le mystère, mais ils ne le dévoilent pas, ni ne nous permettent de le démontrer par la raison – sans quoi ce ne serait plus un mystère ! Dans le cours de notre vie terrestre, nous ne pourrons jamais comprendre comment se réalise ce changement substantiel du pain dans le corps du Christ, ni comment les accidents du pain continuent de subsister indépendamment de leur sujet. Cependant, nous avons vu que la foi ne doit pas marcher sans s’appuyer sur la raison. Ainsi, si nous ne pouvons pas comprendre pleinement ni démontrer la présence réelle, nous pouvons cependant l’étayer, c'est-à-dire soutenir notre foi. Cela se fait par exemple en repoussant les objections qui peuvent être faites par la raison humaine à la présence réelle.


La réalité de l’institution


Comme nous allons le voir ci-dessous, les principales attaques contre la présence réelle sont venues des protestants, qui ont généralement cherché à relativiser les paroles du Christ. En bref, pour eux, Jésus a peut-être dit « Ceci est mon corps », mais ce n’est pas exactement ce qu’il voulait dire, c’est à prendre dans un sens second, figuré. Cette critique se repousse facilement. En effet, l’affirmation de la transsubstantiation et de la présence réelle n’est pas un élément isolé de l’Évangile et de l’enseignement du Christ. Au contraire, elle apparait de nombreuses fois dans les Écritures, et on peut dire qu’elle constitue l’élément central qui permet de comprendre la révélation. L’institution de l’Eucharistie le jeudi saint est racontée dans les Évangiles synoptiques (saint Matthieu, saint Marc et saint Luc – on les appelle ainsi parce suivent le même plan, et peuvent donc être regardés dans un même ensemble ; en grec : συν-όπτειν veut dire « regarder ensemble ») et par saint Paul. Le récit de cet institution reprend à chaque fois ces termes, qui ne sont pas équivoques, c'est-à-dire qui ne peuvent pas être compris dans un autre sens. Jésus n’a pas voulu s’exprimer en parabole. Il le faisait surtout quand il se trouvait en présence d’une foule nombreuse, et moins quand il était avec les disciples. Quand il était avec les disciples et que ceux-ci ne comprenaient pas ses paraboles, ils lui en demandaient l’explication, comme dans le cas de la parabole du semeur. Or ici les disciples ont apparemment bien compris ce que Jésus leur avait dit (sans doute seulement après sa résurrection), et ont obéi à son commandement en célébrant la messe catholique, qui dure jusqu’à aujourd’hui. En outre, l’authenticité de l’interprétation catholique de ce récit est confirmée par le « discours du Pain de vie », au chapitre VI de l’Évangile de saint Jean, où Jésus annonce très clairement et longuement l’institution de l’Eucharistie : « celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ».


Pourquoi manger son Dieu ?


C’est fou, c’est complètement fou ? Mais qu’est ce que fait cette religion qui affirme manger son Dieu ? On avait les cannibales dans les îles lointaines, mais là c’est bien pire… Manger son Dieu, en effet, cela laisse songeur… Et pourtant ! Dieu nous y avait préparé de longue date. Dans l’ancien Testament, le rite essentiel marquant l’alliance de Dieu avec le peuple juif, celui que tout juif répète une fois l’an en mémoire de la fuite d’Égypte, est le repas pascal. Dans ce rite, les juifs mangent l’agneau pascal, agneau sans tache, innocent, sacrifié à Dieu. Or Jésus est le véritable agneau pascal, c’est ce que Jean Baptiste reconnait dès le début de l’Évangile : « voici l’agneau de Dieu, voici celui qui enlève le péché du monde ». Ainsi, par le rite pascal millénaire du peuple juif, Dieu avait annoncé et préfiguré l’incarnation et le sacrifice du Christ, perpétués depuis 2000 ans par le Saint Sacrifice de la Messe. Manger son Dieu… Cela semble bien fou, et pourtant. Revenons sur le sens du cannibalisme. Pourquoi certaines tribus mangent-elles leurs ennemis ? Pour le goût de la viande humaine ? Non, c’est une piètre récompense (je n’ai pas essayé) pour beaucoup de risques pris. En fait, le cannibale ne mange pas pour que le mangé devienne sa propre substance (ce qui arrive physiquement lorsque nous mangeons), mais pour que lui-même s’approprie, devienne la propre substance du mangé. Par la manducation, l’homme espère recevoir quelque chose de la substance de sa victime. Ainsi, le rite de la manducation du corps du Christ signifie, de manière bien adaptée à nos instincts humains les plus innés et primitifs, que nous voulons nous intégrer à sa substance, devenir sa substance. Devenir la substance du Christ… Voilà qui nous ramène à la question des bienfaits spirituels de la communion. L’abbé André vous en parle plus longuement dans son article. Enfin, pour être complet sur les objections classiquement faites à la doctrine catholique de la présence réelle, et montrer qu’aucune ne tient vraiment la route face au mystère, il faut citer les conceptions protestantes, et l’on verra rapidement qu’elles ne sont pas plus efficaces que les critiques que nous venons de citer.


L’inanité des conceptions protestantes de l’Eucharistie.


Si la raison ne peut démontrer par son opération naturelle la réalité de la transsubstantiation, elle peut et elle doit examiner les objections qui sont faites au dogme par ses adversaires. Elle peut ainsi en arriver au moins à montrer que la réalité de la présence réelle n’est pas impossible. Les principaux arguments contre la transsubstantiation ont été apportés par les protestants, or il est facilement visible que les systèmes de pensée qu’ils ont mis en place pour nier la présence réelle et substantielle de Jésus dans l’Eucharistie ne tiennent pas debout. Le monde « fête » cette année les 500 ans de la réforme protestante. Il faut le dire honnêtement, il n’y a rien à fêter. Nous pourrions tout au plus profiter de cet « anniversaire » pour prier avec plus de ferveur pour les millions d’âmes détournées du chemin du ciel par cette hérésie. Le premier motif de rébellion des réformateurs contre l’Église a souvent été mêlé de théologie, de philosophie et de politique. Luther a commencé par nier la doctrine catholique de la justification, c'est-à-dire du salut, opéré ensemble – conjointement – par Dieu et par les hommes. Il en est arrivé à une doctrine de la justification par la foi seule : il faut seulement croire pour être sauvé, qui a été poussée plus loin par Calvin, arrivant à une doctrine de la prédestination : Dieu choisit et sauve ceux qu’il veut, sans que nous puissions y faire quoi que ce soit. Toutefois, les réformateurs en sont vite arrivés à une négation violente et haineuse du dogme essentiel de la transsubstantiation. Il faut très certainement y voir la main du démon, qui a voulu profiter de la prétendue réforme pour attaquer la vérité de la présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie. Pour étayer leur négation de la transsubstantiation, les principaux réformateurs protestants ont essayé de développer des théories alternatives, plus ou moins éloignées de la vérité de la foi. En en restant au plan de la philosophie, de la raison humaine, on peut montrer facilement que ces théories ne tiennent pas debout. On le voit notamment par le fait qu’elles ont fait l’objet de nombreuses oppositions entre les réformateurs eux-mêmes. De Luther en Allemagne à Calvin à Genève, en passant par Zwingli à Zürich, les réformateurs ont successivement nié d’une manière croissance la transsubstantiation et la présence réelle. Pour Luther, le pain reste inchangé. C’est donc Jésus qui vient dans le pain. Il y a alors dans l’Eucharistie deux substances : le pain et le corps du Christ. D’après lui, le Christ est présent partout dans le monde, mais plus réellement dans le pain consacré, fixé par le sacrement. Zwingli refuse cette « impanation » luthérienne, c'est-à-dire cette coexistence de la substance du pain et du corps du Christ. Il s’oriente vers une conception seulement symbolique. Ainsi, quand Jésus dit : « ceci est mon corps », il voulait dire, d’après Zwingli : « ceci signifie mon corps ». On en arrive avec Calvin à la conception vague de l’Eucharistie comme un signe de la présence de Jésus, réitéré 3 ou 4 fois par an au cours d’une commémoration de la cène. La place centrale de l’Eucharistie dans la religion chrétienne, instituée par Notre Seigneur le jeudi saint et vécue par les Apôtres dès les premiers temps de l’Église, est ainsi évacuée, oubliée par les protestants, qui ne vont d’ailleurs pas tarder à nier les autres vérités de la foi, à des degrés divers.





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